J’ai un regret à partager encore une fois sur la toile, le décès d’un des pères de l’ethnomusicologie, le Professeur Bruno Nettl disparu le quinze janvier dernier à l’âge de presque quatre-vingt dix ans. Il allait les avoir à l’occasion de notre fête du Nowruz. Nettl ne fut pas seulement spécialiste de l’Iran, et spécialiste au sens large car son expertise ne se limita pas à l’étude de nos musiques mais enveloppe aussi avec perspicacité bien des traits de notre mentalité. Nettl fut surtout ce ressortissant juif d’Europe centrale qui migra aux Etats-Unis quand les dictatures s’entretuèrent sur le vieux continent. Il attendit trente ans avant que l’Université de l’Illinois ne lui ouvrit une chaire. Entre-temps, il avait su se faire un nom en écrivant aussi bien sur les ballades de son pays d’origine que sur celles de l’Angleterre élisabéthaine et celles de l’Iran traditionnel. Son parcours me replonge sur mon propre passé, sur mon départ de l’Iran devenu la proie du fanatisme, sur ma carrière universitaire en France, laquelle fut avortée sans connaître l’apothéose que Nettl rencontra aux Etats-Unis. Peut-être ai-je eu tort de ne pas suivre ses conseils, lui avec lequel j’avais noué une longue relation épistolaire et qui n’eut de cesse de m’encourager à venir professer à ses côtés. Il était un esprit libre et c’était ma liberté de ton qui lui plaisait, le sceau des vrais chercheurs. Regardez les bibliographies des publications de Bruno Nettl: jamais vous n’y trouverez la mention d’une fausse valeur mais que des autorités consacrées par le temps. Que mes jeunes compatriotes iraniens venus en France pour réussir dans le domaine de la musique traditionnelle ou de son étude gardent bien ce point en vue. Ils succombent trop vite, et avec délices parfois, aux sirènes de l’establishment et de ses chercheurs patentés plus prompts à courir après  l’argent qu’après la vérité. Bien sûr, il peut être tentant de devenir l’homme-lige d’un potentat de l’édition pondant des thèses creuses sur la musique iranienne mais pleines de profit substantiel pour peu que le jeune musicien y acquiesce. Ce dernier se trouve alors accrédité du label de « musicien traditionnel », des enregistrements aux frais de la princesse lui sont offerts, et vogue la galère! mais d’un point de vue scientifique, le mentor et son protégé iranien, le premier sans vergogne, le second avec hypocrisie, perpétuent un vieux système colonial où toute connaissance réelle est viciée et toute humanité absente. Je salue ici la mémoire de Bruno Nettl qui m’encouragea à garder le cap, à dénoncer tout pouvoir abusif et à aimer la musique pour ce dont elle est l’héritage.

Ethomusicologie

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