Ce rapide survol montre que je ne suis pas qu’un praticien du santur, mais également un épistémologue de l’art musical traditionnel. Pour entreprendre ce travail, je me suis modestement mis durant de longues années à l’écoute (en bénéficiant de leur enseignement) et au service (en éditant en France leurs enregistrements) des grands maîtres qui m’ont précédé. Cette double approche n’a que peu à voir avec l’ethnomusicologie telle qu’elle se pratique aujourd’hui et a été décriée par notre doyen Gilbert Rouget[10] dans un entretien que cet immense ethomusicologue m’a accordé. Je n’ai pas, contrairement à certains plus affairistes que chercheurs, multiplié les enregistrements répertoriés en autant d’écoles imaginaires. J’oppose à cette prétention classificatoire bien commode pour tous ce que j’appellerais, si l’on me pâsse le mot, une « sociomusicologie ». J’entends par là une science qui saurait articuler les apports de tel maître à telle ou telle époque comme les historiens le font.
L’ethnomusicologue tire sa légitimité en se disant venir d’ailleurs ; je ne bénéficie pas de ce recul et on me l’a suffisamment reproché ! A tel ethnomusicologue qui, jouant de son recul à défaut de son savoir, me dirait : « Comment peut-on être persan ? », santur en mains, je lui rétorquerais: « Comment peut-on être ethnomusicologue ? » En retournant cette question, je veux montrer l’infondé de la distance culturelle comme critère de scientificité. Car quelle scientificité peut-on prêter à une discipline qui applique, quel que soit le champ musical investi, les mêmes modèles. On a beau les dire « opératoires », dans le cadre de la musique classique persane, il la font passer pour de la musique traditionnelle et ravalent trop souvent son répertoire savant à de la musique vernaculaire. La sociomusicologie que je prône n’a pas peur d’employer le mot de savant dans ce cas, et de récuser la référence à l’ethnie.
[1] En 1991 à Paris
[2] Musique traditionnelle iranienne, Paris, Club du Disque Arabe, AAA 082, 1993.
[3] Musique classique iranienne, Nanterre, Al Sur, Al CD 179, 1996,
[4] Musique classique iranienne, Boulogne, Sunset Music, PS65216, 1999.
[5] Musique classique iranienne, Paris, Nahda, AIA CD 9908, 2000.
[6] Iran, Boulogne, Sunset France – Air Mail Music, SA 141 108, 2004.
[7] Musique classique iranienne, Nanterre, 1996, Al Sur, Al CD 164.
[8] Les transformations de la musique iranienne au début du XXe siècle (1898-1940) : les premiers enregistrements en Iran, L’Harmattan, Paris, 2005.
[9] Le santur persan, Geuthner, Paris, 2013.
[10] https://hassantabar.net/blog/wordpress/?p=202